Depuis que j’ai découvert Laurent Gaudé grâce au magnifique La mort du roi Tsongor, puis qu’il a su me faire ressentir la chaleur du sud de l’Italie dans Le soleil des Scorta, j’admire cet auteur et j’apprécie son oeuvre toujours si variée et si intense.
Oui, mais.
Oui, mais les terrasses dont il est question, ici, ce sont les terrasses du Carillon, du Petit Cambodge et de la Belle Équipe, et le jour dont il est question, ici, c’est le vendredi 13 novembre 2015.
J’avais acheté le livre dès sa sortie, comme une évidence… mais je n’étais pas sûr d’être prêt à le lire. Je ne suis pas une victime des attentats du 13 novembre, mais j’en suis sorti meurtri, profondement meurtri. Parce que j’étais parisien, parce que j’étais jeune, parce que je me suis senti blessé dans mon mode de vie autant que dans mon humanité. J’apprehendais donc cette lecture comme j’appréhende, en ce moment même. l’écriture de ce billet (2015, dans les jours qui ont suivi les attentats, je n’avais plus de mots). Je me suis finalement senti prêt, suffisament prêt en tout cas, et je me suis plongé dans la lecture de Terrasses, 138 pages qui se lisent comme un souffle, mais une lecture dont on ne sort pas indemne. Nous ne serons plus jamais les mêmes… mais nous n’oublierons pas.
Un roman polyphonique
Je ne vous ferais pas le pitch aujourd’hui, cela ne s’y prète pas, mais je veux saluer la structure du livre qui arrive, avec une grande pudeur et une économie de mots, à raconter l’indicible, en rendant leurs voix à ceux qui était aux terrasses ou en concert au Bataclan, mais aussi aux passants, assistant par hasard à une scène de guerre dans un pays en paix, aux policiers arrivés sur place en premier, aux membres du GIGN qui sont intervennus ensuite, aux secouristes et aux pompiers qui leurs ont succédé, mais aussi aux familles anxieuses qui durant tout ce temps n’arrivaient plus à joindre leurs proches, sans oublier les standardistes et les soignants aussi qui se sont pris la vague des blessés et des morts et qui ont du y faire face… Les mots et les paroles se mélangent et le lecteur suit la chronologie du drame comme s’il y était, et cette manière de raconter les évènements qui s’enchainent, inexorablement, permet d’en ressentir toute la gravité, mais aussi de rentrer en empathie avec ces multiples destins invoqués par la magie des mots.
Une lecture dont on ne sort pas indemne
Vous l’aurez compris, j’ai été bouleversé par ce roman qui fait mal autant qu’il fait du bien.
Il m’a fait mal car les évènements continuent de me heurter, que la douleur et la tristesse sont encore là, pas bien loin, et que le roman m’a évidemment beaucoup ému. Mais il m’a aussi fait du bien car, même si on en ressort sonnés, on en ressort avec l’envie impérieuse de continuer à vivre, pour ne pas oublier mais aussi pour rendre hommage aux victimes et surtout, surtout, éviter à tout prix que la terreur gagne. Le texte est puissant et émouvant, il peut rendre triste et en colère, mais c’est aux victimes qu’il redonne de la voix, pas aux terroristes. Comme Antoine Leiris qui avait su très tôt trouver les mots pour dire aux terroristes « Vous n’aurez pas ma haine » (puis qui en avait fait un roman), Laurent Gaudé nous offre une formidable leçon d’humanité. Daech n’a pas gagné. Nous avons perdu de notre insouciance mais nous nous relevons, et nous retournons en terrasse et en concert, et Terrasses participe à notre catharsis.