Je n’ai pas l’habitude de lire des essais (oui, c’est un essai, pas un mode d’emploi qui vous appendrait à saboter un pipeline !)… mais je m’interroge de plus en plus sur notre (in)capacité à agir collectivement alors que le changement climatique est en marche. Après un roman de SF anticipant sur les 30 années à venir, Ministry for the future, j’ai enchainé avec la lecture de « Comment saboter un pipeline » d’Andreas Malm, livre que j’avais acheté après avoir été voir le film éponyme qui est un thriller, excellent, dont l’histoire s’inspire des idées avancées dans ce livre).

Andreas Malm est historien et militant du climat. En tant qu’historien, il s’intéresse à ce que l’on appelle désormais l’anthropocène, c’est-à-dire cette période que nous vivons depuis la révolution industrielle et qui peut être vue comme une époque géologique puisque nos sociétés humaines impactent les paramètres climatiques et écologiques de notre planète

Le début du livre fait, et c’est logique, le même constant affligeant que dans « Ministry for the future » :

  • La COP1 s’est tenu à Berlin en 1995. Depuis, les émissions annuelles de CO2 dans le monde ont augmenté de 60 %.
  • La COP10 s’est tenu en 2004. 49 % des équipements mondiaux dans le secteur des énergies fossiles ont été mis en service après cette COP.
  • En 2023, les investissements se poursuivent dans ce domaine, dans des projets dans les durées de vie escomptée sont d’une quarantaine d’années, prouvant que les capitalistes ne croient pas à une future politique pour le climat.

On peut faire un constat similaire pour la société civile, notamment occidentale :

  • Le pourcent le plus riche de la planète a une empreinte carbone 175 fois supérieure à celle des 10 % les plus pauvres
  • Les SUV sont le deuxième facteur le plus important d'augmentation d'émission de CO2 depuis 2010. À eux seuls, ils ont réduit à néant les progrès techniques et technologiques fait sur les motorisations des véhicules.

Kim Stanley Robinson imaginait un changement provoqué par les catastrophes résultants du changement climatique, Andreas Malm, lui, s’interroge sur le peu de réactions de nos sociétés ainsi que sur l’absence quasi-totale de violence chez les écologistes.

Des mouvements pour le climat qui font le choix de la non-violence

Il liste les mouvements pour le climat, de Greta Thunberg qui a déclenché Friday for Future à Ende Gelände en passant par Extinction Rébellion (XR), et note que tous ont opté pour un pacifisme stratégique, ce qu’il explique par un trop grand respect de la propriété privée, par l’effondrement de l’idée révolutionnaire dans les pays du Nord, et par une politisation insuffisante. Nous sommes trop gentils, trop éduqués, trop peu impliqués.

Ce choix est par ailleurs assumé par nos mouvements écologiques et se résume dansr la doctrine d’XR « la violence commise par les mouvements sociaux les éloigne systématiquement de leur objectif » mais il note que cette conception de l’histoire est faussée par l’idée que les grands combats sociaux et politiques du XXe siècle aient été remportés grâce aux pacifistes.

Ce que nous apprennent les luttes passées

Cette idée, Andreas Malm la remet en cause en revenant alors sur ces luttes passées (abolitionnistes, suffragettes, décolonisation, Apartheid, lutte pour les droits civiques aux USA, etc.) et démontre que les formes de mobilisations violentes ont participé à leurs victoires, ce que les théoriciens des mouvements pour le climat semblent oublier.

Sa thèse, c’est que sans l’existence d’un flanc radical, ces mouvements n’auraient pu obtenir gains de cause.

Sans Malcom-X, pas de Martin Luther King (et vice-versa).

Si le mouvement des droits civiques a pu arracher le Civil Rights Act en 1964 mettant fin à la ségrégation raciale, c’est bien parce qu’aux yeux de l’État, ces militants pacifiques apparaissaient comme un moindre mal comparé à la menace représentée par les militants radicaux. En Afrique du Sud comme lors de grands mouvements ouvriers en Europe, c’est également la constitution d’un flanc radical qui a permis de nombreuses avancées sociales ou politiques.

Aucun discours ne poussera jamais les classes dirigeantes à agir. Rien ne saurait les persuader ; plus les sirènes hurleront, plus elles alimenteront le feu, si bien que le changement de cap devra leur être imposé. Le mouvement doit apprendre à déstabiliser le business-as-usual.

Il rappelle enfin qu’il ne faut pas s’en tenir à ce bilan peu glorieux, et qu’il ne faut pas céder à l’éco-anxiété stérile ou à l’immobilisme. Il est techniquement possible de limiter le réchauffement à 1,5°C, en instituant « une prohibition mondiale de tout nouveau dispositif émetteur de CO2, et en réduisant les durées de vie des infrastructures existantes des combustibles fossiles. Il est évident que l’État ne s’attaquera jamais à la propriété capitaliste, et que ce ne sont pas les mouvements pour le climat dans leur configuration actuelle qui pourront le pousser à agir. Dès lors, la seule solution est de dépasser le pacifisme en intégrant dans notre panel d’actions le sabotage des infrastructures climaticides.

Des traditions de sabotage des énergies fossiles existent...

Des traditions de sabotage des énergies fossiles existent d’ailleurs, mais aucune n’a été réalisée au nom du climat.

  • Dès les années 30, la résistance palestinienne a été pionnière en attaquant les pipelines britanniques, leurs infligeant de lourdes pertes économiques.
  • En 2019, les rebelles Houhtis du Yémen ont attaqués les installations pétrolières saoudiennes à l’aide de drones explosifs, mettant à l'arrêt la moitié de la production du pays, soit 7 % de l'approvisionnement mondial.
  • Beaucoup d’autres exemples existent : le Congrès National Africain (ANC) en Afrique du Sud luttant contre l'Apartheid, la résistance irakienne contre l'occupant américain dans les années 2000, les révolutionnaires égyptiens pendant le Printemps arabe, etc.

En Occident également, quelques épisodes isolés de destruction de biens tactiques ont empêché le fonctionnement ou la construction d'infrastructures émettrices de CO2 (Notre-Dame-des-Landes en France, Hambach en Allemagne, Standing Rock aux USA) mais de manière générale, cette stratégie reste largement inexplorée, alors même que l'économie fossile est l’un des principaux responsable du réchauffement climatique. Sa conclusion, logique, est donc que « La question n'est pas de savoir si nous pouvons limiter le réchauffement, mais si nous choisissons de le faire » appelant les mouvements pour le climat à accepter la possibilité d'actions directes, offensives… rejoignant, là-encore, « Les enfants de Kali » ou la division occulte du Ministère du futur du roman de Kim Stanley Robinson !.

La violence comporte des périls, mais le statu quo nous condamne. Nous devons apprendre à lutter dans un monde en feu.

Que dire de plus ? Il est temps de se rebeller.

Couverture du livre Comment saboter un pipeline
Titre
Comment saboter un pipeline
Auteur
Ma note
5 sur 5 étoiles